RUE DU THEATRE – 18/08/2021 par Karine PROST
La Conquête. Allons colons de la patrie…
Spectacle polymorphe construit autour de la question des colonisations, « Conquête » invite le public à une réflexion sur la question coloniale et les encycliques qu’elle provoque encore de nos jours. Un spectacle fort habilement construit et scénographié.
Avant même que le spectacle ne commence, la question coloniale et ses enjeux économiques saute aux yeux. Ce qui peut sembler une fort esthétique scénographie se révèle aussi et surtout une efficace évocation des ressorts économiques et géopolitiques de la colonisation. Du pétrole au cacao en passant par un « rayonnement culturel » radiodiffusé.
Au coeur de ce décor, des comédiennes nous feront voyager un peu partout sur le globe. Amérique, Asie, Afrique. Les continents se succèdent, la méthode reste la même. Qui que soit le colon, quelle que soit la ressource visée. Une universalité notamment symbolisée par une même marionnette aux « faux air » de Tintin, lançant des « hiiiha » amerlocs à souhait à chaque fin de scène.
Rien n’est ici doctement moralisateur. L’humour reste en effet un fil conducteur omniprésent, qui rend le propos à la fois léger et percutant. Les manipulations sont précises, les symboles d’une efficacité redoutable. Les continents ne sont pas que des terres mais aussi des êtres. Des âmes. Des corps. Admirablement mis en exergue dans la scénographie.
Les amoureux de texte regretteront un peu la minceur du texte.
Sans doute, le message passe parfaitement dans cette économie de mots et celle-ci rend possiblement le spectacle accessible à un public jeune, qui pourra y mettre ses propres termes dans une exploitation pédagogique ultérieure. Mais l’ensemble du spectacle est d’une grande efficacité, magistralement scénographié et superbement interprété. Du très grand théâtre d’objet.
Théâtrorama – 19/10/2020 par Dany Toubiana
La Conquête, la colonisation en théâtre d’objets
Pièce historique pour objets et fragments de corps
Le rideau du castelet s’ouvre sur un désert, symbole d’une nature vierge et tranquille. Elles apparaissent l’une après l’autre et installent des figurines en plastique en poussant des cris d’Indiens (d’Amérique) comme dans les westerns. Les figurines s’amalgament, parlementent parfois bruyamment mais finissent par s’arranger et à vivre ensemble. L’introduction d’une figurine immense de cowboy qui pointe un pistolet sur les Indiens met fin à ces arrangements. Un drapeau planté dans une main qui « traîne » sur le paysage et qui représente une colline ouvre vers une autre histoire qui va s’écrire dans la domination et le changement brutal.
Portant un regard singulier à la fois poétique et politique sur la question, avec un humour souvent décapant, Dorothée Saysombat et Sika Gblondoumé – de la Compagnie à créée en 2003 par Dorothée Saysombat et Nicolas Alline à Angers – nous racontent la colonisation. S’attachant aux moindres détails, les deux comédiennes – marionnettistes débusquent les travers, les non-dits et les préjugés qui, peu à peu, ont construits l’esprit colonial. De la soumission des nouveaux territoires par les armes à l’exploitation des ressources naturelles en passant par la mise au pas des populations, elles mêlent le théâtre d’objets, la marionnette et le texte. Loin du prêchi-prêcha souvent utilisé lorsqu’il s’agit de la colonisation, elles introduisent le décalage dans les situations, le pas de côté qui revisite les grands mythes.
Tentative d’exploration de la question coloniale
Pourquoi demande-t-on à une personne noire ou asiatique qui parle parfaitement le français de préciser quelles sont ses origines ? Dorothée Saysombat et Sika Gblondoumé, partent de cette simple question qui les concerne au premier chef puisque, nées en France, l’une à un père laotien d’origine chinoise et l’autre des parents béninois. Leur propre expérience leur permet de raconter les séquelles de l’esprit colonial et les manifestations du racisme ordinaire. Il ne s’agit pas de se plaindre, mais bien de déceler les liens entre l’histoire intime et la grande Histoire qui aujourd’hui encore, révèle le ridicule de certaines situations comme demander un extrait d’acte de naissance ou une carte d’inscription à la bibliothèque quand on porte un patronyme d’origine étrangère.
Par le biais du théâtre d’objets, et d’un corps castelet, les deux comédiennes jouent magnifiquement de la distanciation, racontent comment le geste de coloniser a conduit à l’asservissement des esprits. Dans le décor des « morceaux » de bras, de jambes apparaissent comme autant de territoires et de terrains de jeux pour mettre en scène l’exploration et le pillage des pays à coloniser.
Loin de toute démonstration, jouant comme des enfants, les deux comédiennes déroulent l’histoire et mettent l’accent sur la volonté unitaire dans l’acte de coloniser ou le geste d’envahir ; elles questionnent aussi la place de l’humain dans ce processus.
Coloniser une terre, revient à transformer le paysage mais aussi à violenter les hommes qui y vivent. Comment vanter « la vie rêvée des colonies » ou expliquer la mission civilisatrice des peuples colonisateurs ?
Dans ce décor composé de sacs de jute et d’objets à l’emblème des grosses compagnies qui ont gagné leur fortune en exploitant le sol et les richesses des pays colonisés, en rappelant les publicités qui chantent les vertus du chocolat Banania ou les émissions sur les aventures de Bamboula, les comédiennes nous racontent une histoire de la colonisation par le petit bout de lorgnette tout en nous faisant réfléchir à cet héritage que colonisés et colonisateurs ont en partage. Loin de la reconstitution historique et du traitement didactique, « La Conquête » manie la dérision et la distanciation, se sert de la métaphore, de l’évocation, du décalage poétique et du burlesque. Le spectacle s’attache à nous rappeler que les ressorts de la colonisation continuent d’être à l’œuvre de façon insidieuse sur la planète entière. Non pas seulement dans les faits historiques, mais dans les détails du quotidien. Les examiner, rire de nous-mêmes et de nos préjugés souvent infondés est un chemin pour en prendre conscience et peut-être aller mieux. Un spectacle revigorant, histoire de nous remettre les idées en place !
Les Soirée de Paris – 14/10/2020 par Isabelle Fauvel
Colonisation et théâtre d’objets
Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette a lui aussi rouvert ses portes et ceci pour notre plus grand plaisir. Sa saison a donc débuté avec deux spectacles de la Compagnie à. Programmé initialement en mars dernier, celle-ci a heureusement pu être reprogrammée en octobre. Cette compagnie des Pays de la Loire a la particularité de mêler jeu d’acteurs et théâtre d’objets et d’inventer constamment de nouvelles formes théâtrales. Le mouvement et le burlesque y jouent, par ailleurs, un rôle prépondérant. Explorant le rapport du minuscule à l’universel, elle s’intéresse tout particulièrement au thème du vivre ensemble et aux rapports entre les peuples. Après « Le chant du bouc » où une comédienne et deux comédiens reconstituaient en miniature une banlieue pavillonnaire coquette et proprette dans laquelle survenait un crime, pour questionner la figure du « bouc émissaire », « La Conquête » sonde les grands ressorts de la colonisation et explore les stigmates de cette dernière sur notre société actuelle. Avec bien évidemment toute la distance et l’humour que permet le théâtre d’objets.
Fait finalement assez rare pour être souligné dans ce lieu voué à « défendre et promouvoir les formes contemporaines des arts de la marionnette dans leur plus grande diversité », un castelet occupe ici pratiquement toute la scène. Habitués que nous sommes à découvrir au Mouffetard des spectacles associant aussi bien théâtre, écriture, danse, musique, arts plastiques… et technologies de pointe dans le domaine de l’image et du son, il nous semble ainsi revenir au petit théâtre de notre enfance. Mais nous ne sommes pas chez Guignol, loin de là, et le castelet s’avère très élaboré, un véritable décor en soi dans lequel dominent harmonieusement le bleu, le blanc, le rouge et le jaune. Ingénieux et agréable à contempler, il nous raconte déjà une histoire, avant même le début du spectacle : des toiles de jute punaisées sur lesquelles sont imprimés les labels « Produce of Vietman », « Café du Laos » ou encore « Produce of D.R.Congo », une carte du monde du temps des colonies, des radios vintage encastrées qui feront la part belle au son, un fût métallique d’essence de la marque Elf posé à l’avant-scène ou encore des ouvertures pratiquées aux deux extrémités du castelet, telles des fenêtres, dans lesquelles les comédiennes viendront se glisser et incarner différents personnages.
Le spectacle début sur un air de country avec des figurines d’indiens miniatures en plastique coloré comme celles avec lesquelles s’amusent à jouer les enfants. Une comédienne (Dorothée Saysombat), bientôt rejointe par une seconde (Sika Gblondoumé), manipule les petits indiens tout en émettant différents cris chantés. Rapidement, le duo se lance dans un véritable concours de vocalises du plus haut comique. L’arrivée d’une figurine de cowboy, bien plus grande que les précédentes, viendra mettre fin à ce joyeux tapage. Voilà, c’est clair, intelligent, on ne peut plus imagé. Comment raconter avec légèreté et en quelques minutes la conquête de l’Ouest ? Le ton est donné. Pendant près d’une heure, les scènes s’enchaînent, débordantes de créativités, plus inventives les unes que les autres. Evitant l’écueil de la reconstitution historique, le spectacle nous parle, toujours avec dérision et humour, de la colonisation au sens universel, de ce désir de conquête qui a de tout temps existé et perdure encore malheureusement de nos jours.
A la multitude d’objets utilisés viennent s’ajouter des fragments de corps humain. Oui, vous avez bien lu : des fragments de corps. Et c’est encore là une des belles trouvailles de ce spectacle. Le corps d’une femme apparaît par moments partiellement : une jambe, un bras ou une nuque se font ainsi colline ou montage du pays colonisé. Par l’utilisation du corps comme territoire, terrain de jeu, de pillage ou d’exploitation, le spectacle nous parle du corps colonisé, de la manière dont le fait de mettre un pays sous sa dépendance amène à l’asservissement des esprits et des humains.
Tout est intelligemment évoqué : de la soumission des nouveaux territoires par les armes à l’exploitation des ressources naturelles, en passant par la mise au pas des populations, chaque étape de l’acte de domination est rappelée. Les références contemporaines nous remémorant notre passé colonial sont multiples, de l’album d’Hergé « Tintin au Congo » (1931) à la chanson de Michel Sardou « Le temps des colonies » (1977), sans oublier le sucre de la marque Béghin-Say ou encore le chocolat Banania.
Avec « La Conquête », Dorothée Saysombat, comédienne-metteur en scène d’origine laotienne et chinoise, et Sika Gblondoumé, chanteuse-comédienne d’origine béninoise, ont intelligemment relié leur histoire personnelle à l’histoire universelle. A travers certaine scènes où elles jouent leur propre rôle, elles nous parlent ainsi directement de l’héritage de la colonisation, des séquelles de l’esprit colonial dans les manifestations de racisme ordinaire. L’obtention d’un acte de naissance pour une Française d’origine laotienne ou d’une carte de bibliothèque municipale pour une Française dont les ancêtres habitaient jadis le royaume du Dahomey s’avèrent des actes de bravoure là encore du plus haut comique.
Le duo de comédiennes fonctionne à merveille. Toutes deux, très talentueuses, s’avèrent merveilleusement complémentaires.
Si la période des représentations sur Paris est, comme toujours, assez courte, une belle tournée s’annonce déjà en province et à l’étranger. Alors, si « La Conquête » passe près de chez vous, ne ratez surtout pas l’occasion de découvrir ce très beau spectacle !
Télérama – 7 au 13-10 2020
La Compagnie à n’a pas son pareil pour évoquer avec culot et fantaisie les travers de notre civilisation. Avec La Conquête, les marionnettistes Dorothée Saysombat et Sika Gblondoumé s’interrogent sur les héritages et les stigmates de la colonisation dans notre société actuelle. L’une avec des origines laotienne et chinoise, et l’autre, d’ascendance béninoise, partent de leur histoire intime pour voir ce qu’il reste aujourd’hui de notre passé colonial et raconter comment l’acte de coloniser amène à l’asservissement des humains et de esprits.
Ouest France – 11/01/18 par Françoise Gilles
Une pièce sur la colonisation créée aux 3 Chênes
Le projet
La création d’un spectacle naît d’un propos qui pose question à la compagnie à. Cette année, c’est le mot colonisation qui a jailli. « Comme j’ai des origines laotiennes, cette notion permets de faire résonner mon récit personnel avec l’histoire en général, d’établir un lien entre l’intime et l’universel. C’est ainsi que nous aimons concevoir nos spectacles », indique Dorothée Saysombat, une des fondatrices de la Compagnie à.
Créée en 2003 la troupe est née de la rencontre de deux comédiens lors d’une formation en Seine-Saint-Denis. « Avec Nicolas Alline nous partagions la même passion pour le clown, le burlesque et le travail du mouvement » explique Dorothée Saysombat.
Les objets de sa création à sa manipulation
Si leur trajectoire et leurs expériences étaient différentes, théâtre pour l’une, cirque et arts de la rue pour l’autre, un lien les réunit, l’objet, de sa création à sa manipulation, en passant par sa fabrication. La Conquête explore le thème de la colonisation, celle des peuples, des humains, mais aussi du corps qui devient territoire et enjeu de pouvoir. La mise en scène se construit autour du corps castelet dont les membres sont traités comme des objets.
« Nous aimons aborder un sujet de société qui nous indigne pour le traiter d’une manière aigre-douce », comment Dorothée Saysombat. Le mot conquête a plusieurs entrées dans l’imaginaire collectif, comme par exemple, dans la conquête de l’Ouest, les Indiens, les cow-boys, symboles du colonisé et du colon, mais aussi héros de westerns. Le spectacle n’apporte ni message ni vérité. Sur scène, un duo d’artistes, Dorothée Saysombat et Sika Gblondoumé, d’origine béninoise, toutes deux liées par leurs familles à la colonisation.
« On nous demande comment s’écrit notre nom, d’où nous venons. Alor que le Bénin et le Laos étaient des colonies françaises. Les gens situent difficilement ces pays », raconte Dorothée Saysombat. « Notre origine, on nous la renvoie sans cesse en nous interrogeant sur nos lieux de naissances. Personnellement, je suis née à Paris », ajoute Sika Gblondoumé.
Sa participation à ce projet lui est apparue comme naturelle, répondant à son propre questionnement. « Dans la Conquête, je suis chanteuse, comédienne, manipulatrice et manipulée. En colonisant mon corps, je suis chosifié », conclut-elle.
BONGOU – 18/09/21 par Manzi
LA CONQUÊTE, THÉÂTRE D’OBJETS LUDIDACTIQUE
Le pire quand on est confinés et sevrés de culture c’est d’apprendre que les prochaines échéances festives s’annulent à tour de bras, alors que lesdits membres ont bien reçu leurs deux injections. C’est malheureusement le cas du festival de marionnettes TAM-TAM prévu initialement du 4 au 13 octobre 2021 qui est finalement reporté en 2022… Bongou est forcément atterré car il adore se faire manipuler. Pour se consoler, on va vous recommander un excellent spectacle, vu dans le OFF d’Avignon…
Et oui, à défaut de gloser autour de représentations s’étant déroulées sur notre territoire, Bongou se lance dans une croisade utopique : parler de spectacles qu’on espère voir programmer dans nos contrées. Après Krim recommandé par Zerbi, voici La Conquête, du théâtre d’objets pour corps colonisé, fortement apprécié par Manzi.
Évidemment, la thématique de la colonisation résonne particulièrement sur notre île. La sublime affiche laisse entrevoir une exploration des méfaits de l’impérialisme européen sur le continent africain. Or, si la Françafrique est bien égratignée, c’est le fléau colonial global qui est dénoncé. La Compagnie À se moque habilement de la routine d’asservissement du colonisateur et dévoile avec malice les cicatrices gravées sur les peuples colonisés. Les deux artistes, Dorothée Saysombat (comédienne-metteur en scène d’origine laotienne et chinoise), et Sika Gblondoumé (chanteuse-comédienne d’origine béninoise) parviennent à nous faire sourire et réfléchir sur ces questions sociétales dans une forme théâtrale fourmillant de trouvailles esthétiques et narratives.
C’est un réel plaisir de profiter d’un théâtre d’objets engagé, épuré et fignolé. Le propos révolté est démêlé par l’intermédiaire de jouets bon marché incarnant les gentils ou les méchants à l’insu de leur plein gré. Dans cette tragi-comédie, le Vilain peut être – entre-autres – représenté par la figurine de Tintin. Au-delà du Congo, ce sont tous les processus d’appropriation de territoires et d’asservissement de populations qui sont décriés avec une dérision communicative. La simplicité des actions et des dialogues est à la portée du jeune public mais leurs interprétations occasionneront forcément de vastes réflexions.
Pour incarner cette exploitation d’un peuple sur un autre, l’autre idée très évocatrice est d’avoir parfois intégré au miniature décor de vrais corps. Ce sont sur des chairs bien vivantes que les mutilations vont être perpétrées et que les fondations vont être siphonnées. S’amuser à ériger des frontières, séparer des populations ou imposer son dogme religieux avec des soldats en plastoc, c’est souvent très drôle mais c’est surtout corrosif, pour ne pas dire inquiétant quand tous ces méfaits se déroulent sur le ventre, la jambe ou l’entrejambe de l’artiste, astucieusement intégrés dans la scénographie.
La façade composée de barils de pétrole, de vieux transistors, de sacs de jute est tout aussi ingénieuse puisqu’elle permet l’enchaînement de tableaux sur différents niveaux, alternant les archives sonores authentiquement décalées et les saynètes impeccablement interprétées. Tous les sens sont exigés et l’esprit critique en sort plus qu’éveillé.
J’ai eu le bonheur d’assister à deux de leurs précédents spectacles Le Chant du Bouc et Ma foi et ils sont tout aussi créatifs, drôles et impertinents. Chers programmateurs, sans jouer au marchand de tapis, ça ferait un bien joli combo à proposer aux spectateurs réunionnais, fervents amateurs de théâtre d’objets de qualité, non?
https://www.bongou.re/bouillant/la-conquete-du-theatre-d-objets-ludidactique
OUEST FRANCE – par Laurie CORREIA
À Avignon, La Conquête explore la colonisation
Festival d’Avignon. Par le biais du théâtre d’objets, et en utilisant le corps comme terrain de jeu, La Conquête, mise en scène par « la Compagnie à », s’empare de la question coloniale.
Le témoignage
Au Nouveau Grenier, à Avignon, « la Compagnie à », dirigée par Dorothée Saysombat et Nicolas Alline, présente La Conquête. Une pièce qui explore les grands ressorts de la colonisation grâce au théâtre d’objets et à la marionnette sur corps. Sur scène, des bouts de jambe ou de bras deviennent des paysages colonisés, sur lesquels s’animent des figurines de cowboys et d’Indiens en plastique.
Accompagnés de la dramaturge Pauline Thimonnier, les directeurs artistiques ont monté le spectacle en seulement quatre mois. «Mais c’était un projet profondément ancré dans la compagnie depuis sa création en 2003, précise Dorothée Saysombat.
C’est une partie de l’histoire qui nous appartient à tous, mais que l’on cache. C’était important pour nous de la montrer. » Une histoire universelle, mais aussi intime, puisque la metteuse en scène et la chanteuse-comédienne Sika Gblondoumé, elles-mêmes originaires de pays anciennement colonisés – le Laos et le Bénin – se sont nourries de leurs expériences personnelles pour raconter les manifestations de racisme ordinaire.
« La marionnette instaure une distance »
Soumission des nouveaux territoires par les armes, exploitation des ressources naturelles, asservissement des peuples… La pièce questionne les stigmates de la colonisation sur notre société, en explore les processus sans les dater ni les situer. La troupe angevine utilise la technique du corps castelet, où le corps de l’acteur manipulateur est visible. « J’ai tout de suite eu l’intuition de montrer aux spectateurs un corps morcelé sur lequel on mettrait en scène des figurines, explique Dorothée Saysombat.
Cela nous permet de parler de façon métaphorique, allégorique des territoires conquis, mais aussi des populations colonisées, complètement déshumanisées, et de leur morcellement identitaire. » Une façon, aussi, d’aborder ce sujet sensible avec dérision et humour.
« La marionnette instaure une distance, permet de regarder les choses différemment, et amène de l’humanité, considère la comédienne, adepte du burlesque. On ne veut pas être dans le théâtre à message ou moralisateur,mais créer un espace de partage où les spectateurs rient, ensemble. »
Théâtre en mots – Juillet 2021 par Cécile Legall
Des séquences extrêmement drôles, autour du sujet de la colonisation qui ne l’est pas, de manières légères et coup de tonnerre d’explosif (son, un moment seulement), pour faire comprendre ce qu’il reste du colonialisme ou du racisme au quotidien, et la transformation des paysages d’un territoire annexé. A l’aide de décors divers, classique mais aussi inspirés de l’art contemporain. (ou du Théâtre de Nantes) avec pieds, mains, torses comme sortant du sable, se mouvant au besoin comme une matérialité de vies niées acculées à l’acceptation d’un sort choisie par d’autres, l’air de rien.
Un large castelet sert à faire vivre les décors et les actions représentées, tandis que sur le devant de la scène les deux comédiennes jouent des intermèdes-scènes de vies quotidiennes au pays d’origine, comme l’élève et sa professeur qui note à la craie où elle le peut (sur le mur ou il y a des plaques en fer d’enseignes commerciales d’autrefois réutilisées) le cours du jour : « de Clovis à Chirac », histoire de donner le ton de cette pièce aussi faite pour les enfants, par le théâtre, un espace de possibles multiples pour dire et raconter ce qu’on veut mettre à jour.
Auprès d’administrations publiques des scènes où l’une et l’autre des deux comédiennes doivent épeler leurs noms avec difficultés, font une épopée très réussie, tant sur le sujet des administrations que celui du recul face aux noms étrangers de Madame tout le monde, et la connaissance vague de l’histoire en général; la gène procurée par le sujet pour certains. Cette scène, depuis des fenêtres différentes du castelet, comme Guignol sortant de sa boite, mise en jeu bien choisie.